Moulay Abdelaziz (1894 - 1908 )
Après la mort subite de Hassan Ier, le problème de succession se posa à nouveau. Mais à la suite de pressions du puissant et grand vizir Ben Moussa, connut sous le nom de Ba Ahmed, le jeune Abd al-Aziz, âgé de quatorze ans, fut proclamé sultan en 1894 sans la consultation des ouléma. L’opposition flagrante à cette intronisation «imposée», notamment par un grand nombre de notables de Fès, poussa la Cour à aller s’installer à Marrakech. Nombre d’opposants auraient préféré voir sur le trône le frère aîné d’Abd al-Aziz, Moulay Mohammed.
Pendant six ans, la réalité du pouvoir fut exercée avec autorité par Ba Ahmed soutenu par la veuve de Moulay Hassan, la Circassienne Lalla Rqiya. Il fit régner l’ordre à l’intérieur et joua sur les rivalités des puissances, en particulier la France et l’Angleterre, pour retarder leur mainmise sur le Maroc. Cependant, ce grand vizir commit une grave erreur dont le Maroc aura à souffrir dans les années suivantes : il négligea l’éducation du jeune sultan, confiné dans son palais, grandissant dans la facilité sans que lui furent dispensées les connaissances et la discipline nécessaires à un prince, à un futur souverain. Son éducation négligée et la division du makhzen en clans rivaux en feront un velléitaire, violent mais sans fermeté, éprouvant une grande fascination pour les nouveautés de la technique européenne. Il jouait au tennis, s’entourait de bicyclettes, d’automobiles, de pianos, de phonographes et d’appareils photographiques.
A la mort de Ba Ahmed en 1900, Moulay Abd al-Aziz, âgé de vingt ans, accéda réellement au trône. Avec son intronisation, le début d’une période de graves troubles, qui allaient entraîner la perte d’indépendance du Maroc, s’annonçait aussi bien sur le plan intérieur que diplomatique. Le goût prononcé de Moulay Abd al-Aziz pour les nouveautés techniques européennes et leur coût exorbitant ajouté à son incapacité d'assumer ses devoires d’Imam, creusèrent le fossé entre sa personne et son peuple et compromirent grandement son prestige. Le peuple considérait ces nouveautés comme des innovations contraires aux préceptes de l’Islam et dangereuses pour la religion. Il était persuadé que seuls l’isolement et le retour à la tradition étaient susceptibles de redonner vigueur et force au pays.
Le mécontentement s’aggrava lorsque le jeune souverain entreprit certaines réformes, véritablement révolutionnaires, comme le tertib ou impôt sur les biens agricoles. Abd al-Aziz décida de remplacer l’impôt coranique traditionnel, par ce nouvel impôt, égalitaire à ses yeux, puisqu’il devait être acquitté aussi bien par les humbles que par les riches. Cette décision souleva la colère aussi bien des privilégiés que des petites gens.
Le sultan ne pourra mener à bien ses réformes en raison de l’hostilité, surtout des dignitaires, vis-à-vis de tout ce qui pouvait menacer leur fortune et des pressions des puissances européennes. C’est ainsi que le début du XXe siècle commença par une période de troubles pendant laquelle la débâcle financière du Maroc s’accéléra. La période des emprunts s’ouvrit vite au profit de la Banque de Paris et des Pays-Bas qui prèta en 1902, l’équivalent de 7 500 000 francs au Trésor marocain. Une année plus tard, cette même somme sera empruntée à deux reprises d’abord à une banque anglaise puis à une banque espagnole. Ces emprunts servaient à payer les dettes du sultan, les campagnes militaires contre les opposants et les entreprises étrangères qui avaient fourni matériel et services dans le cadre des grands travaux. Désormais, chaque emprunt servait avant tout à rembourser le précédent.
A la veille du protectorat et étroitement liés aux intrigues coloniales visant à faciliter la conquête du Maroc, les révoltes dégénèrent en dissidence et des troubles s’aggravent et se généralisent. En effet, profitant de l’affaiblissement du pouvoir central, la France intensifia son action déjà entreprise depuis 1890 dans le Sahara marocain. A partir de 1903, date à laquelle Lyautey fut appelé et nommé général en Algérie afin d’ «assurer la pacification» de la frontière depuis la Méditerranée jusqu’à Beni-Abbas, la subtile avancée française vers l’Ouest en territoire marocain s’accentua. En 1908, la France contrôlait désormais toute la région située entre la frontière algérienne et la Moulouya.
De plus, afin d’assurer sa prépondérance sur le Maroc dans la course impérialiste du début du XXe siècle, la France en 1904 signa une série d’accords avec l’Angleterre puis l’Espagne moyennant quelques concessions. L’Allemagne, systématiquement tenue à l’écart de ces conventions et ayant des intérêts au Maroc, manifesta son mécontentement en encourageant le sultan à ne pas céder aux pressions françaises, à refuser toutes les propositions et surtout à réclamer la réunion d’une conférence de toutes les puissances intéressées au Maroc. L’arrivée de Guillaume II à Tanger le 31 mars 1905 et ses nombreuses déclarations par lesquelles il reconnaissait la souveraineté de Moulay Abd al-Aziz et son indépendance et où il affirmait son opposition à tout ce qui pouvait menacer l’égalité entre les puissances au Maroc, déclencha un processus de tension européenne.
A la demande du sultan et sous la pression allemande, cette tension provoqua une conférence internationale, réunissant treize pays, qui se tint du 7 janvier au 6 avril 1906 à Algésiras, en Espagne. L’Allemagne s’y trouva isolée et l’Angleterre soutint la France qui en retira tous les avantages. L’indépendance et l’intégrité du Maroc étaient reconnues et la France obtenait le contrôle de Rabat, Mazagan, Safi et Mogador. Les Espagnols obtenaient Tétouan et Larache et partageaient Casablanca et Tanger avec les Français. Plaçant le Maroc sous une sorte de « protectorat international », le Traité d’Algésiras marqua la fin effective de son indépendance.
Au Maroc, ce traité enflamma le mécontentement de la population entière qui accusait le sultan et le makhzen d’inertie voire même de traîtrise. Partout des émeutes éclatèrent, menaçant aussi bien les fonctionnaires du sultan que les Européens. La France profitant d’incidents intervenus entre Français et Marocains et engendrés par cette situation, se lance désormais dans l’occupation militaire du Maroc, commençant par Oujda, la partie orientale du pays ainsi que Casablanca en 1907 et l’ensemble de la Chaouia en 1908.
Le règne de Moulay Abd al-Aziz, comme celui de ses prédécesseurs connut également l’édification et l'achèvement d’œuvres architecturales. A Fès, le palais estival de Moulay al Hassan, Dar Batha fut achevé, Dar Menebhi, Dar Glaoui et Dar al-Mokri furent construites. A Marrakech, le palais de Bahia et Dar Si Saïd furent édifiés et à Meknès, Dar Benani fut réalisé.