Sidi Mohammed V Ibn Youssef (1927 - 1961 )
Le règne de Mohammed V et la libération nationale (1927-1961)
A la mort du sultan Moulay Youssef, le cadet de ses trois fils est proclamé sultan du Maroc le vendredi 18 novembre 1927. A cette date, le Traité du Protectorat a déjà quinze ans, les résistances militaires ont presque toutes été brisées, la guerre du Rif est terminée et le colonialisme mondial vit son «âge d’or».
En dépit de son jeune âge, Mohammed V comprit très vite que l’urgence politique devait être, non pas l’indépendance, une utopie en 1927, mais la sauvegarde de l’unité et de l’identité marocaines. Pendant les vingt premières années de son règne, sa priorité fut d’empêcher que le Protectorat du Maroc ne dégénère en colonie. En effet, Mohammed V avait décidé de ne céder aucune parcelle de ce que le Traité de 1912 lui avait reconnu. A partir de 1944, toute l’action de Mohammed V aura pour but l’indépendance du Maroc. C’est avec une totale détermination et avec un grand sens politique qu’il atteindra ses deux objectifs. Tout au long de son règne, le monarque fut d’une intransigeance inégalable et inébranlable dès lors qu’il s’agissait de l’unité nationale ou de la souveraineté du Maroc.
Un des nombreux exemples de cette intransigeance survint après la défaite militaire française, lorsque le gouvernement de Vichy désira que les lois anti-juives mises en application en France et en Algérie fussent étendues au Maroc. Le sultan s’y opposa radicalement, affirmant que les Juifs vivant au Maroc étaient des sujets marocains et que vouloir leur appliquer des lois spéciales introduirait un précédent inacceptable dans le domaine de l’unité nationale du Maroc et de sa souveraineté.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le prestige de la France était atteint et la Charte de l’Atlantique avait proclamé le droit de tous les peuples à choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils voulaient vivre. C’est dans ce contexte que le sultan Mohammed V se rendit en France où le général De Gaulle lui promit de réfléchir à une forme d’émancipation du Maroc. Cette promesse ne fut pas tenue puisque De Gaulle démissionna en 1946 et que les gouvernements qui se succédèrent au pouvoir ne voulurent pas prendre en compte cette situation nouvelle. Au Maroc, les nationalistes ne se contentent plus de réclamer des réformes, ils demandent l’indépendance. Créé en 1943, le parti Istiqlal (Indépendance) domine désormais la vie politique, très présent dans l’entourage de Mohammed V et au Conseil du gouvernement qui n’a aucun pouvoir mais qui constitue une tribune.
Mohammed V se rend à nouveau en France en 1951 afin de demander au gouvernement de mettre un terme au Traité de Protectorat de 1912. La série de réformes proposées par le gouvernement français allait dans le sens de la co-souveraineté sur le Maroc, c’est-à-dire à l’encontre de l’indépendance. Aussitôt de retour au Maroc et en signe de contestation, Mohammed V décida alors la « grève du sceau » qui fit que les dahirs présentés à sa signature pour promulgation par le Résident de France, le général Juin, ne pouvaient plus être ratifiés. La situation étant bloquée, le général Juin demanda à Mohammed V de désavouer l’Istiqlal ou de se démettre. Le samedi 23 décembre 1950, le pacha de Marrakech Si Thami al-Glaoui, fidèle allié de la France, s’était rendu au Palais afin d’y présenter ses vœux à Mohammed V à l’occasion du Mouloud et il avait demandé au souverain de ne plus se laisser influencer par les membres de l’Istiqlal. Mohammed V le congédia sans ménagement et lui signifia, par l’intermédiaire du grand vizir, l’interdiction d’accéder au palais jusqu’à nouvel ordre. En février 1951, afin de contraindre le sultan à cesser « la grève du sceau » et avec l’accord et le support matériel de la Résidence, al-Glaoui lança des milliers de cavaliers des tribus vers Fès et Rabat. Mohammed V céda le 23 février face à ce coup de force qui risquait de déclencher une guerre civile.
En désespoir de cause, Mohammed V demanda l’émancipation immédiate du Maroc au mois de novembre 1952, dans son « discours du trône ». Cet acte désespéré provoqua la colère de la France et, le 14 et 15 août, le souverain fut mis en état d’arrestation avec le prince héritier Hassan puis embarqué à bord d’un avion militaire français pour un exil de plus de deux années en Corse puis à Madagascar. Le 15 août, Mohammed ben Arafa, un cherif de la famille alaouite, « candidat au trône » que le Glaoui avait suggéré à la Résidence, fut proclamé « Prince des Croyants » à Marrakech. Le peuple marocain s’enflamma et les actes terroristes se multiplièrent. Voyant la situation s’aggraver et ayant à faire face à de sérieux problèmes, en particulier la chute de Diên Biên Phu en mai 1954 ou le début de la guerre d’Algérie en automne de la même année, la France décida d’agir.
Le 22 août 1955, après que des contacts officieux eurent été pris avec le sultan d’une part et les nationalistes d’autre part, une conférence débuta à Aix-les-Bains. La création d’un Conseil du trône et d’un gouvernement marocain chargés d’établir une base de négociations pour l’avenir des relations franco-marocaines fut décidée. Le 8 septembre, un accord est trouvé et approuvé par Mohammed V. Mohammed ben Arafa abdique le 1er octobre et, le 26, l’Istiqlal exige le retour du sultan légitime. A l’issue des négociations entamées en France le 1er novembre 1955 avec le président du Conseil français Edgar Faure et son ministre des Affaires Etrangères, Antoine Pinay, Mohammed V obtint la «Déclaration de La Celle Saint-Cloud» par laquelle la France mettait un terme au régime du Protectorat et rétablissait la totale indépendance du Maroc. Le 10 novembre, Mohammed V rentrait au Maroc dans la liesse générale.
Le vendredi 2 mars 1956, la France signait un document par lequel elle reconnaissait officiellement l’indépendance du Maroc. Le 7 avril fut signée une déclaration dans laquelle l’Espagne renonçait à son tour à la souveraineté qu’elle exerçait sur la partie septentrionale du royaume. Le 29 octobre, la zone de Tanger était réintégrée au Maroc.
Sous le règne de Mohammed V, le Maroc recouvre son indépendance et le souverain prend le titre de roi à la place de celui de sultan. Le «Sultan Libérateur et Bien-aimé», Mohammed V meurt subitement durant une intervention chirurgicale le 26 février 1961. Dès que la nouvelle fut connue, le Maroc fut plongé dans la plus grande affliction.